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  • Photo du rédacteurDavid Hury

Souriez, vous êtes pris pour un con


Nous avons tous un point commun: personne n’aime être pris pour une quiche (mot gentil pour dit con/conne). Que ce soit face à son patron, face à son ex-conjoint, face à son chat qui ne veut jamais rentrer quand on lui ouvre la porte, face à un fonctionnaire qui n’est clairement pas payé au chiffre, face à un film mal fichu mais qui se prend pour la Palme d'or, face au call-center à l’autre bout de la planète pour une réclamation basique, face, face, face… Les occasions sont fréquentes. Protéiformes.


Face aux images, c’est pareil. Certes, la mode est aux fake news, au fact checking. Aujourd'hui, on se protège de mieux en mieux. A une époque (je pense à la guerre de juillet 2006 par exemple), il fallait déceler les bidouillages sur Photoshop, une colonne de fumée trop noircie pour être vraie… Bref, des exemples de trucage et d'arnaque intellectuelle, il y en depuis l’invention de la photo.


A mon retour de Beyrouth début novembre, dans le métro de Paris, mon regard est attiré par une très belle photographie. Un portrait vraiment réussi. De loin. Je m’approche. L’homme s’appelle donc Yacine. En lisant le peu de texte sur l’affiche, je comprends que ce pauvre homme est mort cette année, à seulement 19 ans. Mort d'avoir vécu dans la rue.

Je trouve ça bouleversant. Qui peut encore rester insensible à ce fait de société?


Je m’approche encore, je vois le logo de la Fondation Abbé Pierre. C’est donc un appel au don. Et puis voilà, ce qui devait arriver arriva: sur le panneau voisin, je vois le portrait de Kalia. Morte en 2019. Elle aussi. Morte d’avoir vécu dans la rue. Elle aussi avec le magnifique reflet du projecteur dans les yeux.


Et voilà que mon radar à «Attention David, t’es en train d’être pris pour un gros con» se met en marche. Et en général, l'énervement arrive très vite après. Souvent accompagné de sa copine la gerbe.


Je réfléchis, je réfléchis, et je me demande encore comment a pu se passer le brief du département Créa’ de l'agence de pub responsable de cette magnifique campagne (ironie).

Je vais tenter une simulation (attention, c'est un poil cynique):


– Bon, j’ai une super idée pour la campagne de la Fondation Abbé Pierre!

– Ah génial, vas-y on t’écoute.

– Bon, on va faire un truc mi-SDF, mi-migrants qui vivent dans la rue. Mais attention, on va faire dans la misère esthétisante, parce que c'est classe. D’abord, il va nous falloir des super portraits, genre la petite Afghane de National Geographic avec les yeux verts. L’image est tellement connue que tout le monde percutera et ça attirera.

– Super idée. Comment tu veux procéder?

– Facile. On fait un casting: des fringues sales, de la peau pas trop blanche et uniquement des yeux clairs! S’il peut y avoir un nez cassé, une écorchure, c’est encore mieux. Ensuite, on amène un photographe, n’importe lequel on s’en fout, avec une soft box (boîte à lumière diffuse, en condition studio). Ensuite clic-clac, on fait toute une série de portraits sur le même principe. Et là, tata da! On met un prénom et deux dates, naissance et mort. Ça pète!

– Mais du coup, on doit prendre en photos des dizaines de personnes en espérant qu’elles crèvent en 2019 pour que ça colle à ton idée?

– Bein non, évidemment, on va mettre en scène.

– Donc on va prendre les gens pour des glands?

– Bein ouais pourquoi? Ils ont l’habitude.


Voilà. Que s’est-il passé en réalité pendant ce briefing à l'agence de pub (Altmann & Pacreau, je viens de les découvrir sur Facebook)? J’aimerais vraiment le savoir… Car – à moins que l’on m’apporte les certificats de décès – je ne crois pas que Yacine s’appelle Yacine et qu’il soit mort en 2019. Tout comme la petite Kalia. Ou alors ils n’ont vraiment pas – mais alors vraiment vraiment pas – pas de bol!


J’ai toujours détesté ce capharnaüm dans ma tête généré par ces œuvres de fiction qui se font passer pour du documentaire. Ça porte juste un nom: de la malhonnêteté intellectuelle aka du foutage de gueule.


PS: ceci dit, faut surtout pas que ça vous coupe l'envie de donner à la Fondation Abbé Pierre. C'est pas de sa faute.


 

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